Au XVIIIe siècle, l'irruption
du sublime approfondit la conversion des regards et
enrichit considérablement la palette des émotions. Désormais
"voir la mer" signifie avant tout voir la mer en
tempête et l'attrait de la scène du naufrage s'accorde
au goût du pathétique qui se déploie. Ce drame permet
aux artistes de décliner, tout à la fois, les âges de
la vie, les statuts sociaux, les valeurs dominantes, de
dresser l'inventaire des passions, de jouer de l'érotisme
dans les postures des victimes féminines. Mais là ne réside
pas l'essentiel.
Dans la perspective du sublime, la tempête ne paraît
plus la manifestation de la colère de Dieu. Elle se fait
mouvement impénétrable de l'inconnu, paysage dynamisé,
dépourvu de toute présence humaine. Le déchaînement de
l'océan, immense étendue impitoyable, indifférente au
temps humain, met fin à la complicité de l'homme et
d'une nature qui lui serait proposée en spectacle par la
divinité. La confrontation soudaine à l'incommensurable
crée une brisure temporelle, provoque une stupeur
momentanée de l'âme, rendue incapable de raisonnement.
Le vertige de l'illimité fait éprouver à l'homme sa
finitude. Telles sont les émotions, décrites sous le
vocable d' "horreur exquise", ressenties face à
cet océan qui ne garde pas trace de l'intervention
humaine, à ce paysage qu'on ne serait ni aménager, ni
moraliser.
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